Vous avez dit hearingsplaining?

Vous avez dit hearingsplaining? Comment mieux prendre conscience de nos attitudes envers les Sourd.e.s  Rédigé par Julie Lévesque, Cynthia Benoit, Daz Saunders, et Geneviève Bujold  Il est bon parfois, le plus souvent possible, de sortir sa loupe et de la retourner vers soi. C’est fou de voir la facilité avec laquelle on adopte automatiquement certaines […]
10 Mar, 2022 —
LSQ hearingsplaining minature

Vous avez dit hearingsplaining?
Comment mieux prendre conscience de nos attitudes envers les Sourd.e.s 

Rédigé par Julie Lévesque, Cynthia Benoit, Daz Saunders, et Geneviève Bujold 

Il est bon parfois, le plus souvent possible, de sortir sa loupe et de la retourner vers soi. C’est fou de voir la facilité avec laquelle on adopte automatiquement certaines attitudes sans se douter qu’elles peuvent avoir des répercussions sur la personne à qui on s’adresse ou sur un groupe. Eh oui, même avec les meilleures intentions du monde, les personnes qui « entendent » peuvent, consciemment ou non, faire ce qu’on appelle du hearingsplaining, et ce, dans une foule de situations de la vie quotidienne, au travail, sur la place publique, etc.

D’où vient le concept?
Le terme hearingsplaining fait partie des nouveaux mots (comme whitesplaining et straightsplaining) qui ont été inspirés par le terme un peu plus connu mansplaining (aussi parfois appelé « mecsplication » ou « pénispliquer » en français), un concept féministe apparu vers 2008, qui désigne « le fait pour un homme d’expliquer à une femme, souvent d’une manière condescendante ou infantilisante, quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte ».   

Qu’est-ce que c’est exactement? 
Le hearingsplaining, c’est le fait pour une personne entendante de fournir des explications à une personne sourde sur un sujet pour lequel la personne sourde est plus compétente ou a plus d’expérience. Cela se fait parfois de manière condescendante, trop confiante, inexacte ou simpliste.  

Peut-être que votre cousine est Sourde, que vous avez eu 87 % dans votre cours de LSQ 3, que votre grand-père porte des appareils auditifs, que vous avez vu TOUS les épisodes de Switched at Birth (nous aussi !), ou même que vous travaillez régulièrement avec des personnes sourdes, mais votre expérience ne remplace pas celle d’une personne sourde, et encore moins celle des professionnel.le.s Sourd.e.s. 

Quelle forme ça prend?
Voici quelques exemples simples inspirés de faits vécus et qui représentent la réalité d’un grand nombre de personnes sourdes et malentendantes. Dans ces situations, une personne entendante :  

  1. Présume immédiatement que la personne sourde n’a pas compris
    Lors d’une rencontre entre une personne sourde et une personne entendante, une interprète s’arrête soudainement pour dire à la personne sourde : « Mais, vous ne comprenez pas ce qu’il a dit. Ce qu’il veut dire en fait, c’est […] », alors que les deux personnes se connaissaient depuis très longtemps, et comprenaient bien le contexte des échanges.
  2. Ne fait pas confiance à l’expérience d’une personne sourde 
    Un homme Sourd est avec un groupe de voyageurs entendants et sourds, à Chypre, une destination qu’il connait très bien. Lorsque le groupe se perd, l’homme explique qu’il peut guider les gens jusqu’à destination. Ils l’ignorent et se rabattent plutôt sur les directions fournies par une entendante qui ne sait pas trop où elle va. Le groupe s’égare davantage alors qu’il aurait suffi d’écouter l’homme Sourd qui connaissait le chemin depuis le début.
  3. Prend pour acquis qu’elle en connaît plus sur un sujet que la personne sourde  
    Une personne sourde est un grand admirateur du groupe ABBA et collectionne plusieurs objets à leur sujet. Alors qu’il échangeait avec un entendant à propos de ce groupe, l’entendant commence à lui donner des explications sur ABBA, même s’il savait que le Sourd aimait et connaissait bien ce groupe.
  4. Pense qu’elle est capable de comprendre plus rapidement 
    Une personne entendante raconte une blague à une personne sourde et finit par lui expliquer la blague, même si elle l’a compris.
  5. Prétend avoir les connaissances suffisantes pour se prononcer sur des enjeux propres à la communauté sourde
    Une réalisatrice entendante dit à un enseignant de LSQ qu’elle trouve la langue des signes tellement jolie, et lui conseille d’enseigner à des acteurs entendants pour qu’ils puissent prendre des rôles de Sourds, et donner une visibilité à cette belle langue. Malgré les explications de l’enseignant au sujet des enjeux d’appropriation et d’usurpation culturelles qui affectent les artistes sourds, elle dit qu’avec un bon acteur, personne ne verra la différence.

Et on fait quoi pour en prendre conscience?
On peut se poser quatre questions bien simples. Peut-être même qu’une ou deux seront suffisantes. L’important, c’est de les intégrer suffisamment pour pouvoir se les poser automatiquement dans toute situation d’interaction avec une personne sourde.

Pour s’y retrouver et surtout, apprendre à reconnaître toutes ces situations dans lesquelles, sans le savoir, on peut être en train d’expliquer pour rien à une personne qui connaît très bien le sujet, le petit graphique ci-dessous (adapté par Cynthia Benoit et Daz Saunders à partir d’un graphique sur le mansplaining conçu par Kim Goodwin) peut s’avérer bien utile.

Effectivement, le plus important consiste à se demander si la personne sourde ou le groupe composé de membres Sourd-e-s vous a demandé de l’expliquer ou non. Bonne réflexion! 

Références

Leduc, V. (2017). Audisme et sourditude : les dimensions affectives de l’oppression. Créativité citoyenne. Vol. 10, no. 1. pp. 4-13. 

Leduc, V. et Grenier, L. (2015).
C’est tombé dans l’oreille d’une Sourde : La sourditude par la bande dessignée. Thèse de doctorat. Université de Montréal. 

Stine, T. (2019). Quit « hearingsplaining » to the Deaf community. Humans

Swinbourne, C. (2017). What does ‘hearingsplaining’ mean? (BSL). The Limping Chicken.

UQAM (2021). Équité, diversité et inclusion – Autres termes de référence.

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